L’Arbre et son Ombre
- Creative Fields Réalisation Urbaine
Matériaux: 13 arbres, 14 surfaces pavées ( L 62,5, l. 14 m )
L’œuvre de Dutrieux se mesure à un site difficile: «concurrence» de nombreuses œuvres d’art autour du pont, envahissante voie rapide qui coupe le site des habitations. Mais ce n’est pas le genre de contexte qui décourage l’artiste: au contraire. Ainsi, conscient que son œuvre pourraît ne pas être perçue comme telle, il ne manifeste pas d’autre espoir que de la voir expérimentée au moins comme une promenade. Ses matériaux et ses dimensions l’associent plutôt, en effet, à ce type d’expérience. Seul le promeneur attentif—ou averti par la présence d’une plaque explicative en Braille—pourra mieux goûter à cette œuvre de haute densité poétique.
Dans une ample courbe du fleuve, 13 arbres de 7 essences différentes, choisies entre autres en fonction d’impératifs plastiques, comme la couleur et la forme du feuillage, sont plantés selon une disposition qui, en braille, écrit le mot «arbre». Les 14 zones pavées affectent la forme d’ombres d’arbres; en braille, elles se lisent “ombre”. D’un bout à l’autre du mot; ces ombres de pierre sont orientées comme des ombres réelles à différents moments de la journée.
Parcourir l’oeuvre, c’est donc voyager dans le temps: celui d’une journée, comme les fausses ombres le suggèrent; dans le passé lointain, comme y invite le gingko, véritable arbre fossile, qui forme le premier point du mot «arbre»; dans le futur, en projetant la croissance d’arbres jeunes qui ne sont qu’en apparence à la poursuite de leur ombre. Nous sommes aussi dans un temps poétique où les ombres sont de pierre et appellent l’arbre absent: ici, il est des arbres sans ombre et des ombres sans arbre.
L’utilisation du langage des aveugles dans l’oeuvre plastique est une des démarches caractéristiques de Dutrieux, prompt à débusquer notre profonde cécité collective face au devenir de notre environnement. Ici, notre vue fait défaut et c’est l’artiste qui se pose en médiateur, en voyant.
Primée à l’état de projet lors du concours Art public – Lieux publics, l’oeuvre aujourd’hui amarrée en bord de Meuse depuis 1991 nous invite à la réflexion, à la traversée des apparences: nous sommes embarqués…
Yves Randaxhe
Parcours d’art public – Ville de Liège ( Fiche G5 )
L’arbre et son Ombre
13 poèmes de François Jacqmin, sous ce titre, remis à Daniel Dutrieux le 16 décembre 1991, pour autant d’arbres plantés sur le site et figurant dans l’ouvrage L’arbre et son Ombre, 1992 – 600 ex. – Éd. Dendroscope – Liège
La frondaison se fit humble.
Elle répandit
une ombre
qui ne portait ombrage à rien.
L’ombre regardait fixement le soleil.
Elle se tenait immobile
comme le visage de celle
dont on fait le portrait pour toujours.
Sous la jonchée des feuilles,
on découvrit un éventail de pierre
dont l’immobilité
était fraîche comme une ombre
L’ombre de l’arbre était un semis
de pavés.
Le jardinier
avait changé le grain en grès
L’ombre fut sculptée, puis
posée sur le sol.
L’arbre se pencha, et reconnut
l’oeuvre pour sienne.
Au coeur de la nuit, l’ombre taillée
permettait
à la main de suivre
les contours de l’arbre indiscernable.
Le dos arrondi, le paveur frappa
doucement l’ombre
qui s’endurcit
tranquillement, puis devint immuable.
Ombre douce, ombre dure,
qu’importe
le nuage
pourvu qu’on ait le frisson !
Les branches s’inclinèrent,
et firent une ombre piétonne
pour les passants aux yeux
baissés.
Nous avons assez remué, fit l’ombre.
Elle quitta
l’enchevêtrement des feuilles
et s’installa dans le calme des cailloux.
Porteur d’un vent calcaire,
novembre
fit tomber plus de pierre
que de feuilles.
A chaque printemps, l’arbre
se couvrait
de fleurs nouvelles. Et son Ombre
restait à l’âge de la pierre.
Sourcilleuse,
l’ombre hésitait
entre
la géologie et la géométrie.
François Jacqmin, 1991
[…] vingt ans naissait l’arbre et son ombre, entre la statue équestre du roi Albert et l’Héliport, et juste en face de la tour […]