Météorites digitales
- Creative Fields Expositions personnelles
Exposition « Daniel Dutrieux Météorites digitales » – Maison Renaissance de la Société d’Emulation de Liège, du 7 au 16 septembre 2017
Météorites digitales
Les « regmaglyptes » qui caractérisent certaines météorites se présentent sous forme d’alternance de creux et d’aspérités ressemblant étrangement à des traces de doigts dans une pâte molle. De cette similitude avec des empreintes digitales m’est venue l’idée de malaxer l’argile. Il ne s’agissait pas de reproduire une météorite mais de se laisser guider par ses caractéristiques formelles et de s’aventurer, sans idée préconçue, dans un processus de création tactile – le choix préalable d’une terre de grès noir chamotte et la cuisson dans un four à bois chauffé à 1240 degrés concluant le travail.
La majeure partie des météorites sont des fragments qui proviennent de la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Il est de coutume de leur attribuer le nom de la commune la plus proche lorsqu’elles parviennent sur le sol terrestre et qu’il a été possible d’en recenser la localisation. Ainsi, Ensisheim en France, Gibeon en Namibie, Morasko en Pologne, Campo Del Cielo au nord de l’Argentine sont des lieux précis dont les noms ont été associés à des fragments de météorites.
Etant donné leur rareté et leur dissémination sur terre dans des collections publiques et privées, la plupart des images de météorites dont je me suis servi ont été récoltées sur le net. Cela m’a donné l’occasion d’en sélectionner certaines qui me permettent, après recadrage, de les transformer digitalement par le biais de dispositifs infographiques que j’ai expérimenté afin de dématérialiser l’objet représenté en explorant les limites de l’image. Il en résulte une multitude de pixels polychromes comparables à des myriades d’étoiles se polarisant à la surface du papier.
Daniel Dutrieux, juin 2017
La fin rejoint le commencement (1)
Texte de Alexia Creusen paru dans Flux News N°74 09-11-2017
De tout temps, les fragments de météorites parvenus sur le sol terrestre ont nourrit l’imaginaire collectif. Ils portent en eux cette qualité de présence autre (2), qui pourrait être qualifiée d’aura. Daniel Dutrieux accorde un intérêt spécifique à ces traces âpres et bien tangibles d’un ailleurs insaisissable. Il nous invite aujourd’hui à éprouver leurs qualités poétiques et plastiques par le biais de l’exposition Météorites digitales, conçue pour la Société d’Emulation de Liège.
L’artiste utilise les vitrines anciennes qui personnalisent ce lieu d’art pour y placer des spécimens choisis. Il présente aussi sur les murs des documents photographiques de multiples natures – macrophotographies, vues en coupe, paysages aux allures intergalactiques. L’ensemble rappelle l’organisation des musées archéologiques d’autrefois.
Le plasticien analyse les caractéristiques formelles développées par les corps extra-terrestres suite à leur entrée dans l’atmosphère. Les astéroïdes qui ne perdent pas l’entièreté de leur masse initiale donnent naissance à des formes organiques ramassées et parcourues de dépressions irrégulières qui évoquent quelques fois des traces de doigts, ce qui leur vaut le qualificatif de « regmaglyptes ». Ils s’apparentent alors curieusement à des embryons de sculptures sommairement modelées par la main de l’homme et figées par une cuisson inopinée.
Témoignages spatiaux de nature à fasciner les sculpteurs, les météorites et leurs regmaglyptes ont encouragé Daniel Dutrieux à retrouver le contact direct avec l’argile, pour donner vie à la matière. La plupart des météorites montrées dans les vitrines ne sont pas des authentiques, ni même des copies documentaires, mais des créations personnelles de l’artiste. L’effet est bluffant bien que leur auteur ne cherche pas à jouer les faussaires. Un regard plus attentif permet d’identifier clairement la texture de la terre chamottée qu’il a modelée.
D’une simplicité préhistorique (3), les météorites façonnées par Daniel Dutrieux renvoient à la découverte primitive du modelage et aux méthodes d’analyse développées dans le secteur de l’archéologie expérimentale. Les pièces sont à l’échelle de la main et l’artiste nous convie à en manipuler certaines, laissées à cette fin dans une vitrine ouverte – de quoi nous rappeler les sensations tactiles liées au pétrissage de la terre. Elles évoquent aussi l’outillage préhistorique, en particulier les bifaces, une des premières traces matérielles du langage.
Lorsque le spectateur apprend qu’ils sont de main humaine, ces artefacts qui pourraient passer pour de « beaux » spécimens naturels se transmuent en objets culturels au statut difficile à définir, éloignés de l’idée traditionnelle du « beau ». Trois photographies en niveaux de gris présentées au mur y font directement écho. Chacune met en scène la main de l’artiste qui se détache sur un fond blanc tout en nous présentant une des météorites fictives de manière à attirer l’attention sur ses caractéristiques. Ces images d’apparence documentaire renforcent la connexion avec l’archéologie et le domaine de l’outillage manuel.
Après nous avoir conduit aux confins de notre préhistoire tactile et technologique, Daniel Dutrieux nous propulse dans le champ des possibles ouvert par les nouvelles technologies, elles aussi parties prenantes du projet. Certains modelages sont ainsi accompagnés de reproductions fidèles réalisées par une imprimante 3D. Bien différents de leurs modèles, les multiples portent l’empreinte des sillons laissés par l’imprimante et acquièrent ainsi de nouvelles qualités plastiques. Incroyablement légers, ils servent à leur tour de base pour la réalisation de tirages en bronze.
L’artiste poursuit en outre son exploration par le biais de son écran, en collectant les images de météorites mises en ligne par des passionnés. Il crée des compositions originales au départ de photographies de basse définition, au sein desquelles il sélectionne des détails qu’il manipule par le biais de logiciels de traitement d’images. Ce travail débouche sur la série des Météorites pixellisées (2017) qui ressemblent à des vues au microscope et à des images macroscopiques prises aux confins de l’espace. Pareils à des flots d’étoiles, des pixels multicolores dansent sur un ciel noir d’encre.
L’outil informatique lui permet aussi de juxtaposer deux ordres de réalité sous la forme de photomontages. La série intitulée Météorites.Fleurs met en parallèle la subtilité du monde floral, coloré et fugace, et la surface sombre et inerte des météorites.
Omniprésent dans l’exposition, le noir s’y décline de multiples façons : noir mat et rugueux de l’argile cuite, noir clinquant de la résine imprimée, noir uniforme des vues en coupe, noir changeant des macrophotographies de surface. Ce noir si prégnant souligne l’aspect inquiétant des météorites, forces de création et de destruction incroyables, au même titre que la main humaine.
Invitation à incarner la pensée, à démultiplier les perspectives et à nourrir notre contact avec la terre, cette exposition-voyage rassemble des déclencheurs sensibles, des outils pour entrer en relation avec notre histoire individuelle et collective. L’effet de vertige est bien réel pour qui se prête au jeu. C’est aussi un hymne à la main, comme en témoigne la pièce Still Alive, objet surréaliste qui se compose d’une paire de gants blancs mis sous une cloche qui porte des empreintes de doigts.
Alexia Creusen pour Flux News N°74 09-11-2017
Plasticien actif à Liège depuis les années 1980, Daniel Dutrieux (1955) s’est souvent illustré dans le secteur de l’art public. Lors de la manifestation Mons 2015, il a assuré le commissariat de l’exposition Le grand large – Territoire de la pensée, en complicité avec l’éditeur Bruno Robbe. Auteur d’aménagements originaux qui permettent une relecture du site où ils prennent place, Daniel Dutrieux travaille régulièrement avec des architectes. Tout récemment, Daniel Delgoffe lui a demandé de concevoir des oeuvres in situ pour la société Diagenode, installée au Liège Science Park. Le travail réalisé sur place est à la source du projet consacré aux météorites. Proétiforme, l’oeuvre personnel de Daniel Dutrieux fait la part belle à l’objet détourné, à l’installation, au livre et à l’image imprimée.
(1) Carl Einstein, Joan Miro, dans Documents, 1930, n°4, p. 243. Cité d’après Georges Didi-Huberman, Devant le temps, Minuit, 2002, p. 214.
(2) Georges Didi-Huberman, idem, p. 236.
(3) Je reprends cette formule utilisée par Carl Einstein pour qualifier des oeuvres de Miro. Carl Einstein, op. cit., p. 214.