Les Bancs d’Izoard
- Creative Fields Réalisation Urbaine
Les bancs d’Izoard, document d’étude, © Daniel Dutrieux & Aloys Beguin 2010.
Les Bancs d’Izoard sont dédiés à la mémoire du poète Jacques Izoard (1936-2008). 6 bancs à l’ombre de 6 marronniers, intimement liés par les 6 lettres qui composent le nom IZOARD.
Les « bancs d’Izoard » ont été inaugurés le vendredi 8 octobre 2010, Place des Béguinage, quartier de Jonfosse à 4000 Liège
Conception et développement :
Daniel Dutrieux & Aloys Beguin (architecte)
DANS LE CADRE DE LIEGE METROPOLE CULTURE EN COMMUNAUTÉ WALLONIE-BRUXELLES 2010
Jacques Izoard était un homme particulièrement sensible au sort des sans abris et il lui est arrivé d’être exaspéré par la suppression des quelques bancs dans son quartier, sous prétexte que des sans abris « s’y vautraient »…
Cette note d’humeur qui lui était caractéristique est à l’origine de la conception d’un ensemble de bancs au design particulier que l’on pourrait qualifier de « poésie visuelle », dédiée à la mémoire du poète, décédé en 2008.
Chacun des bancs est issu de la stylisation des 6 lettres du nom IZOARD, pseudonyme du poète ; et le nombre de bancs correspond aussi au nombre de marronniers à fleurs rouges qui structurent la petite Place des Béguinages située dans le quartier de Jonfosse, non loin de la rue Chevaufosse où habitait le poète.
Entièrement réalisés en acier, les bancs sont caractérisés par les rainures d’écoulement figurant les lignes d’un livre dont le texte serait absent ou en devenir. Sur chaque banc on peut découvrir les titres et les dates des recueils de Jacques Izoard, inscrits dans la surface peinte du bleu qu’affectionnait le poète.
Les bancs Izoard, par Karel Logist
Jacques Izoard, dans son recueil « Corps, maisons, tumultes » en 1990, se posait cette question cruciale du lieu de l’acte créateur : « Où écrivez-vous ? Dans les bistrots ? Sur les bancs publics ? Au fond des forêts d’Ardenne ? ». C’est qu’il aimait les bancs publics de Liège et d’ailleurs ; il savait où les trouver ou bien les recherchait pour y souffler un peu, y reposer ses jambes. Et il ne manquait jamais en venant s’y asseoir de lier conversation à son voisin de banc…
Vingt ans après ce livre culte, et deux ans seulement après la disparition de l’un de nos poètes majeurs, c’est-à-dire aujourd’hui, l’artiste plasticien Daniel Dutrieux et l’architecte Aloïs Beguin ont imaginé et conçu ensemble un projet d’art public dédié à sa mémoire sous la forme d’un poème visuel qui occupera bientôt la place des Béguinages.
Dans une démarche duale, à mi-chemin entre sculpture et design urbain, leur création nous propose six bancs publics dont la forme s’inspire de la graphie stylisée des lettres qui composent le nom du poète. Ainsi le « I », le « Z » et le « O » font-ils face au « A », au « R » et au « D ».
Oui, Jacques Izoard aimait les bancs publics, les bancs de pierre et tous les autres… Comme il aimait aussi les escaliers, les cafés, les terrasses, en bref les endroits vivants où se croisent les gens, où les paroles et les haleines s’échangent. Qu’il fera bon s’asseoir sur les bancs d’Izoard !
Dans sa poésie, il en a évoqué des bancs, bancs d’insectes, de marbre blanc, de sable blond, bancs usés des écoles communales, petits bancs rouges pour petits enfants, ceux de l’école Hocheporte où son père fut instituteur. Il les a chantés comme il a chanté aussi les escaliers, les degrés, les gradins…
Jacques s’asseyait-il parfois place des Béguinages, non loin de chez lui, rue Chevaufosse ? Ce n’est pas impossible, il avait tant de vies… Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait aimé savoir que chacun de ces bancs se déploie sous l’un des six marronniers de la place, dont la floraison printanière, c’est bien connu, dégage une flagrance séminale… Gageons qu’elle lui aurait inspiré quelque remarque grivoise.
Il lui aurait plu aussi de penser que, dans ce square, des gens vont pouvoir écrire, s’embrasser, refaire le monde ou somnoler. Il avait été, je m’en souviens, excédé de voir que l’administration de sa ville avait remplacé d’anciens bancs amples et accueillants aux dormeurs par un modèle nouveau, flanqué d’un accoudoir métallique central, habilement conçu pour décourager toute tentative de s’y coucher! Jacques Izoard le libertaire, voyait là une mesure anti-sdf parce que si le bourgeois n’aime pas que les amoureux « se bécotent sur les bancs publics », il déteste encore davantage que les clochards s’y vautrent… Car pour ceux-là, un simple banc peut se transformer en un lit à la belle étoile. C’est qu’il aimait prendre le parti des humbles, des « voyous de velours », des laissés-pour-compte, et les aider sans ostentation et sans condescendance. Il lui arrivait même – nombre de ses amis le lui ont reproché – d’emprunter de l’argent pour pouvoir en donner à l’un ou l’autre démuni de la rue Saint-Gilles !
La couleur des bancs de Beguin et Dutrieux n’est pas non plus le fruit du hasard : ils sont bleus, la couleur chérie, la respiration du poète des « Pavois du bleu ». Et l’écoulement de l’eau de pluie à travers se fera via des bandes ajourées évoquant des lignes typographiques. Celles-ci figureront des vers et des strophes. Les bancs proposent aussi à qui viendra s’y asseoir de retrouver, tracés dans leur armature métallique, les titres les plus fameux de la longue bibliographie izoardienne. De quoi guider le choix de l’amateur de poésie… D’un banc public, on peut tant observer, regarder passer la poésie, lire ses poèmes ou bien ceux des autres. D’un banc, on peut capter « ce que les choses ordinaires ont d’extraordinaire », selon l’expression de son ami le poète Georges Linze.
« Les bancs d’Izoard », la formule l’aurait ravi, à lui qui aimait tant jouer avec les mots, les manger, les mâcher. Je l’imagine se mettant en bouche le mot « Banc », pour le faire sonner à l’infini, comme il a pu le faire pour le mot « Batte » dans un poème performance dont beaucoup de ses amis, poètes, lecteurs ou spectateurs, se souviennent.
Ces bancs, dits d’Izoard, ce bandit d’Izoard les applaudirait à coup sûr!
Karel Logist, août 2010
Le vendredi 8 octobre, nous nous sommes retrouvés, une dizaine d’auteurs invités de la Biennale de la Poésie, à la Place des Béguinages pour y découvrir la nouvelle configuration et assister à l’inauguration des Bancs d’Izoard. Il y avait là Julos Beaucarne, Marie Beuken, André Romus, Marcelle Imhauser, et près d’une centaine d’autres, proches et amis.
Une place devenue très agréable: toute dégagée, les jeunes marronniers, les six bancs dans un beau bleu qui aurait fait l’enchantement de Jacques Izoard. Un véritable joyau, une idylle, et ce à deux pas du vacarme du boulevard de la Sauvenière.
La place se remplit à l’approche de l’heure annoncée pour la partie officielle, elle est bondée lorsque débutent les discours. Il y les proches de la famille, quelques officiels – pas trop, juste ce qu’il faut –, et les amis de Jacques sont en nombre. Beaucoup s’étaient retrouvés il y a deux ans, en juillet 2008, à la veillée dans la maison de Chevaufosse, et puis à l’enterrement.
Mais cette fois, c’est une rencontre sans deuil, Jacques déjà dans sa survie, serein, et offrant, associé avec son nom, ce „locus amoenus“: un lieu de charme, de rencontre amicale, d’exception à côté des boulevards et rues bruyantes qui font le centre de Liège. On écoute avec plaisir l’anecdote: l’emportement et la plainte de Jacques auprès des officiels pour avoir encore enlevé des bancs publics, on s’associe avec plaisir à l’initiative partie des amis proches et réalisée avec beaucoup d’empathie et de finesse par Daniel Dutrieux et Aloys Beguin, on s’étonne de la rapidité dont peut être capable une instance publique pour adopter le projet d’une place dédiée à un poète, à peine deux ans après sa mort. Tout cela force l’admiration et inspire la gratitude.
Dorénavant, pour être proche de Jacques Izoard, on ne doit pas entreprendre la montée fastidieuse au cimetière Ste-Walburge. On peut se rendre en ce lieu de paix, harmonieux, habité par ce discret mémorial fait des lettres de son nom et de sa couleur préférée: le bleu de la Dordogne ou du Tage, le bleu des Marquises et de tous les fonds marins, le bleu de Jacques Izoard de Liège.
Bruno Kartheuser
auteur, rédacteur de KRAUTGARTEN.
Encore bravo