Les fondements du voyage
- Creative Fields Réalisation Urbaine
Les fondements du voyage, Liège, 1996
Matériaux: Pavement calcaire et granit, nodule carbonacé, métal, plantations
L’installation centrée autour de l’énigmatique et monumental «caillou» enchaîné au sol face à l’entrée de l’auberge de jeunesse «Georges Simenon» ne constitue qu’une partie des Fondements du voyage.
A la demande du groupe d’architectes ARTerre, chargé du projet de l’auberge, Daniel Dutrieux est en effet d’abord intervenu dans la cour carrée du bâtiment, ancien couvent des récollets aujourd’hui classé. Son pavement reprend à la fois les couleurs du bâtiment ancien (brique, pierre de sable et calcaire gris) et, en rayonnant autour d’une fontaine au ras du sol, retrouve le rythme de huit travées du cloître.
Un accord avec la Ville de Liège ayant permis un aménagement du plan de circulation aux abords de l’auberge, ce rayonnement a pu se prolonger vers la placette située en face de l’entrée du bâtiment et jusqu’au rond-point proche. On en retrouve l’image dans un panneau de faïence ornant le fronton d’un immeuble du début du siècle, juste en face de l’auberge, à l’enseigne du Belvédère.
Pour le passant, c’est sans aucun doute la partie de l’installation évoquée au début de ce texte qui est la plus frappante. Au cœur, l’impressionnant «nodule carbonaté» est comme un aérolithe que les chaînes empêcheraient de remonter vers le ciel. A la fois étoile mystérieuse et nuage de pierre échappé à Magritte, son image aurait été inspirée à l’artiste par un dessin de son fils, dont il a admiré la densité poétique. La provenance de cette merveille de la géologie, tant par sa couleur que sa dimension ou la perfection de sa forme, n’est pas non plus innocente: elle fut en effet découverte lors du percement du tunnel autoroutier de Cointe, sur les hauteurs de la ville. Du cœur de la terre, il rejoint l’air libre; obstacle à une autoroute, il consacre un lieu voué au repos du voyageur.
Ses chaînes sont fixées à des simulacres de poignées de valises comme enfoncées dans le sol, qui semblent souligner nos propres pesanteurs. Huit autres «valises» de pierre forment des bancs. Inscrites dans un carré de pavés, elles égrènent une phrase gravée extraite de Simenon, un enfant du quartier: «Il marchait sur la grand route, / dans le soleil, / une toute petite ombre à ses pieds, / et il allait à enjambées souples / de l’ombre d’un arbre / à l’ombre d’un autre arbre / à travers des losanges de soleil». La huitième valise signe la citation.
Quelle meilleure invite à la pérégrination, quelle meilleure célébration des formes dessinées par le soleil et l’ombre? C’est le voyage en tant qu’œuvre d’art.
Fidèle à son vœu d’inscription totale de l’œuvre dans son contexte, Dutrieux a fait appel, pour le choix de cette phrase, à l’une des figures les plus célèbres du quartier, son meilleur connaisseur et son principal animateur, le «maïeur» Jean-Denys Boussart. De même, le petit rond-point, prolongement ultime de l’œuvre, relié à la zone des valises par une ligne de pavés, est planté d’un érable et de vigne vierge qui, à l’automne, chanteront les couleurs jaune et rouge de la ville.
Yves Randaxhe
Parcours d’art public – Ville de Liège ( Fiche J6 )